Le magasinier qui découvrit un fléau par hasard

En mai 1981, un magasinier se rendit à son travail et écrivit l’histoire à son insu. Ce n’est pas un exemple de découverte accidentelle, juste le produit d’un esprit consciencieux et curieux. L’histoire, injustement, l’a oublié, au point que nous ne connaissons même pas son nom.

Le magasinier consciencieux

Siège du CDC à Atlanta

Ce magasinier n’a pas laissé de traces dans le récit, et c’est bien dommage. On ne connaît même pas son nom. Tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il était consciencieux, futé, et qu’il avait une bonne mémoire.

Le magasinier travaillait dans un entrepôt à Atlanta. Un entrepôt très particulier, un dépôt de médicaments. Ce dépôt était géré par le CDC, le Center for Diseases Control and prevention. Une agence fédérale américaine, qui avait (et a toujours) pour mission de coordonner les systèmes de surveillance épidémiologiques aux Etats-Unis. Le CDC avait d’autres missions, comme, par exemple, d’assurer la gestion de dépôts de médicaments rares ou sensibles, comme la pentamidine.

La pentamidine était une molécule qui avait initialement été conçue, durant la seconde guerre mondiale, pour lutter contre la maladie du sommeil. Tout à fait par hasard, la molécule s’était avérée particulièrement efficace dans le traitement d’une pneumonie très rare, la Pneumocystis Carinii, du nom du micro-organisme qui le provoquait.

C’était une affection extrêmement rare, présente chez les personnes immunodéprimées, un marché minuscule, trop petit pour être viable dans les circuits de distribution traditionnels. C’est pour cela que le CDC en assurait la distribution.

Et ce matin là, ce magasinier devait traiter une commande de pentamidine pour un hôpital de New York. Ce n’était pas courant, mais pas non plus extraordinaire, sauf que ce magasinier se rappelait avoir traité une commande de ce traitement peu de temps auparavant. Par curiosité, il consulta le registre, et s’aperçut que d’autres commandes avaient été passées par des hôpitaux de Los Angeles dans les dix derniers mois.

VIH vu au microscope

Le magasinier fouilla un peu plus, retrouva les demandes, et celles-ci présentaient toutes un profil troublant : aucun des patients ne souffrait d’une maladie immunosuppressive. Ils avaient une maladie dont ils auraient dû être protégés par leur système immunitaire.

Le magasinier fit alors remonter l’information au gestionnaire du centre, qui la retransmis, après avoir froncé les sourcils, à la direction du CDC, qui demanda un complément d’information aux hôpitaux concernés, tout en faisant circuler une note à l’ensemble du secteur hospitalier, leur demandant de signaler des cas étranges d’immunodépression.

Le 5 juin 1981, le CDC, dans son bulletin d’information, publia un article de 500 mots traitant du cas de cinq patients, à Los Angeles, tous atteints d’une forme rare de pneumonie. Aucun ne suivait de traitement immunosuppresseurs, tous étaient auparavant en bonne santé. Et tous les cinq étaient homosexuels.

En 1983, alors que de plus en plus de cas sont identifiés à travers le monde, provoquant des pneumonies à Pneumocystis Carinii ou des sarcomes de Kaposi, une équipe française parvient à isoler et faire le lien entre un rétrovirus responsable, ce que confirmera une équipe américaine en 1984. Les chercheurs français et américains se mettent d’accord en 1986 pour lui donner un acronyme. En français, ce sera Virus de l’Immunodéficience Humaine, VIH, et la maladie qu’il provoque sera nommée Syndrome de l’Immuno Déficience Acquise. SIDA.

On estime qu’aujourd’hui dans le monde, un pour cent des personnes sont atteintes du HIV, qui est responsable, depuis 1981, d’au moins 32 millions de morts.

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Guillaume

Passionné par l'espace et la littérature, je mets à profit ma vision du monde scientifique dans la rédaction de Science Expert en tant que journaliste indépendant. Je vis en Bretagne.

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