Soigner le coronavirus avec un antipaludique ? Des résultats prometteurs – et des doutes (MàJ)
L’épidémie de coronavirus serait-elle la plus facile et la moins chère à traiter ? C’est en tout cas ce qu’affirme le professeur Didier Raoult, sur la base d’une étude chinoise. Grâce à une molécule bien connue, la Chloroquine.
La chloroquine, cette inconnue
Quel est le rapport entre coronavirus Covid-19 et le paludisme ? La chloroquine. C’est en tout cas ce qu’affirment des experts chinois, sur la base d’une étude in vitro et d’un essai clinique réalisé dans dix hôpitaux. Leur rapport a été relayé en France par le Professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut Méditerranée Infection à Marseille, qui a repris et poursuivi les recherches à son compte.
La chloroquine est un antipaludique de la famille des amino-4-quinoléines. C’est un des médicaments les plus utilisés contre le paludisme, aussi bien en curatif qu’en préventif, avec la quinine. Il est connu et maîtrisé depuis 70 ans et présente peu d’effets secondaires notables.
Et la chloroquine traiterait bien les patients atteints du coronavirus qui sévit actuellement en Asie et se répand partout dans le monde. Plus précisément, une dose de 500 mg par jour pendant dix jours sur un adulte moyen aurait un effet rapide : amélioration de l’état général en 24 à 48 heures, et disparition totale de la maladie en une semaine.
L’essai a été réalisé par une équipe chinoise sur 100 patients répartis dans 10 hôpitaux. Il résulte d’un essai in vitro mené en laboratoire.
Le fait que le Professeur Raoult soit la chambre d’écho en France de cette découverte n’est pas un hasard. Le médecin est spécialiste des maladies infectieuses, et un ardent défenseur de la méthode « ce qui arrive plutôt que ce qui peux arriver », à travers laquelle il relativise les dangers potentiels établis par la prospective, privilégiant les problèmes de santé déjà présents.
Méthode scientifique
La découverte a été faite grâce à une méthode scientifique relativement simple : la combinaison. Pour schématiser, plutôt que d’essayer de trouver un nouveau traitement à une nouvelle maladie, des chercheurs vont tester sur elle des molécules déjà connues in vitro.
Si il se passe quelque chose, l’expérience est réitérée plusieurs fois, si possible par plusieurs laboratoires différents. Le but étant d’éviter les faux positifs et les biais de confirmation.
Les résultats confirmés, l’expérimentation peut passer aux essais cliniques, c’est à dire l’administration du traitement aux patients. Sur un délais considérablement raccourci, puisque les molécules sur lesquelles les chercheurs travaillent sont déjà connues et homologuées.
C’est l’étape à laquelle les chercheurs chinois sont arrivés avec des résultats plus qu’encourageant. Le nombre de patients testés est encore très faible, mais le peu de dangerosité de la chloroquine va permettre de se dispenser de certaines précautions, gain de temps appréciable.
Coup de grâce : la chloroquine est facile à fabriquer, à administrer, et très peu coûteuse. Le Professeur Raoult n’hésite d’ailleurs pas à parler de « fin de partie » pour le coronavirus.
Des doutes subsistent
Néanmoins, le corps médical dans son ensemble ne partage pas l’enthousiasme du Pr Raoult.
« Il faut faire attention car la chloroquine a un certain nombre d’effets indésirables, affections du système immunitaire, affections gastro-intestinales, nausées, vomissements, des troubles au niveau hépatique voire hématologique », avertit le professeur Jean-Paul Giroud, l’un des spécialistes les plus reconnus en pharmacologie et membre de l’Académie nationale de Médecine, lors d’une interview donnée à Ouest-France. C’est « un produit important contre le paludisme mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faut l’utiliser contre n’importe quelle infection sans avoir la sécurité que ce produit entraîne une amélioration », ajoute-t-il, notant le manque de données de l’étude chinoise.
Le Pr Raoult a réalisé deux études, toutes deux très controversées.
La première sur une vingtaine de patients, et sans groupe témoin, condition pourtant sine qua non pour qu’une étude soit considérée comme probante. De surcroît, il a exclu, en cours d’étude, six patients sans aucune justification. Sur les six, trois ont été transférés en réanimation, et un est décédé. Vingt pour cent des résultats mis sous le tapis, expliquent ses détracteurs. Plus grave, on a découvert que parmi les sujets traités par le Pr Raoult, six inclus dans l’étude n’avaient pas été testés préalablement. En d’autres termes, le professeur marseillais a possiblement déclarés guéris par lui des personnes qui n’étaient peut-être pas malades.
La seconde étude a porté sur 80 patients, le Pr Raoult expliquant que si ses confrères voulaient « plus de monde pour être convaincus, il allait leur donner plus de monde ». L’éminent chercheur s’est pourtant encore une fois dispensé de groupe témoin. Condition, on le rappelle, indispensable.
« Les études sur les syndromes infectieux ne devraient plus être exploitées sans utiliser systématiquement des témoins négatifs pour évaluer la valeur prédictive positive d’un résultat positif. […]Il est temps de tourner la page sur les études qui ne contiennent pas de contrôles négatifs. » » expliquait un rapport publié en 2015, qui expliquait que les études sans groupe témoins étaient une aberration qui devait disparaître. L’auteur de ce rapport ? Le Pr Didier Raoult.
La controverse entre pro- et anti-chloroquine a largement dépassé le cadre de la science. On peut affirmer, et c’est la seule chose que l’on puisse dire avec certitude, que le responsable de ceci est le Pr Raoult, qui a sorti son travail du cadre de la méthode scientifique dont il exigeait pourtant de ses confrères qu’ils l’appliquent sans exception.
Les conséquences sont fâcheuses : des incidents consécutifs à la prise de chloroquine en automédication ont été constatés à travers le monde. Plus grave, des chercheurs qui travaillent sur d’autres molécules expliquent ne pas trouver de volontaires pour des essais cliniques sur des traitements pourtant prometteurs, les patients exigeant tous d’être soignés à la chloroquine. Tout ceci pourrait, si la molécule défendue par le Pr Raoult s’avère in fine inefficace, faire prendre des semaines de retard à la recherche et coûter des milliers de morts.
Pour certains, le Pr Raoult est un génie trop en avance sur son temps. Pour d’autres, un mégalomane devenu incontrôlable qu’il faudra, une fois la crise passer, juger devant l’Ordre des Médecins. L’histoire tranchera.